Reporterre | 6 novembre 2021 | Reportage — Mines et Gaz de schiste
Un agriculteur et des centaines d’activistes s’opposent à la démolition du hameau de Lützerath dans le cadre de l’extension d’une gigantesque mine de charbon. Une manifestation jusqu’à la mine et un festival ont réuni les écologistes sur cette nouvelle zone à défendre, expulsable depuis début novembre.
Lützerath (Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne), reportage
Lützerath résiste « comme le village des irréductibles Gaulois », se plaisent à dire les écologistes qui occupent ce minuscule hameau de Rhénanie-du-Nord, à mi-chemin entre Aix-la-Chapelle et Cologne. Menacé par l’expansion d’une des plus grandes mines de charbon d’Europe, un seul agriculteur fait face, soutenu par des écologistes de tous bords. Il y a deux mois, ils y ont proclamé une Zad faite de cabanes perchées dans les arbres, de tentes, de fermes squattées. Elle héberge actuellement 500 activistes. Lützerath est cernée par un immense trou béant, noir et ocre : la mine de Garzweiler, gérée par l’entreprise minière RWE, la plus polluante d’Europe selon Greenpeace. Entre les deux, un terre-plein délimite le terrain de la mine et la « frontière des 1,5 °C », en référence à la hausse maximale des températures décidée lors de l’Accord de Paris. Cette ligne de front d’un nouveau genre cristallise les tensions : depuis le 1ᵉʳ novembre, RWE a le droit de la franchir pour raser Lützerath, et les zadistes comptent bien l’en empêcher.

« Nous sommes là pour faire respecter les engagements de l’Accord de Paris et défendre notre futur. Si RWE franchit cette ligne et rase Lützi [le surnom donné à Lützerath par les écologistes], alors l’Allemagne ne pourra jamais respecter l’objectif des 1,5 °C », tempête Dina Hamid, 21 ans, porte-parole d’Ende Gelände. Debout sur un monticule de terre, le poing levé, elle fait face à une tractopelle d’une centaine de mètres de haut. Elle et 350 autres activistes du collectif Ende Gelände (« Jusqu’ici et pas plus loin ») ont pénétré dans la mine de charbon, dimanche 31 octobre, à l’issue d’une grande manifestation qui a réuni près de 4 000 écologistes. Vêtus de combinaisons blanches, cernés par la police anti-émeute, ils ont formé une chaîne humaine en cercle dans les hauteurs de la mine. Leur but : « Faire passer un message à RWE et les pousser à abandonner l’expansion, mais aussi l’arrêt total des activités de la mine », détaille Dina Hamid.

Leur objectif semble partiellement avoir été atteint. RWE n’a, à ce jour, toujours pas tenté de démolir le hameau de Lützerath, alors qu’elle en a le droit depuis le 1ᵉʳ novembre. « Nous leur avons fait peur, c’est une grande victoire qui nous a acheté du temps », se réjouit Indigo [1], 25 ans, activiste et porte-parole du groupe Lützi bleibt (Lützerath doit rester), qui a lancé la Zad. Le festival organisé du 29 octobre au 5 novembre, qui a rassemblé près d’un millier d’activistes sur les lieux, a contribué à l’accalmie. Concerts, conférences, ateliers se sont étalés sur cette semaine, avec comme point d’orgue la manifestation coorganisée par un large éventail de forces : Fridays for Future, Extinction Rebellion, Greenpeace, et des collectifs locaux. « Ils vont certainement attendre la fin du festival et le départ des activistes pour attaquer les travaux », devine Indigo. Arboriste de profession, elle vit dans une cabane perchée sur un arbre de la Zad depuis un an.
Le dernier recours du dernier agriculteur
Autre raison, officiellement invoquée par l’entreprise : le recours en justice déposé le 21 octobre par Eckardt Heukamp, le dernier agriculteur vivant à Lützerath, contre son expropriation. RWE a déclaré vouloir attendre la décision du tribunal administratif supérieur de Münster, avant de raser la totalité des lieux. Elle devrait tomber au plus tard en juillet 2022. Mais l’entreprise possède déjà de grandes parties du hameau, des terres et des bâtiments qu’elle a racheté aux anciens habitants, sommés de se « relocaliser ». Les activistes craignent qu’elle envoie ses agents de sécurité et ouvriers pour démolir tout ce qui n’appartient pas à Heukamp. Ils ont ainsi dressé des barricades avec des barrières de chantier et occupent des bâtiments déjà évacués, afin de faire face à une éventuelle offensive.

Lützerath n’est qu’un village parmi une douzaine d’autres à être exproprié, évacué, démoli et reconstruit quelques kilomètres plus loin. « C’est quand ils ont rasé l’église du village millénaire de Immerath que j’ai eu un sursaut et que je me suis engagée », se souvient Hedwig Fritz, 58 ans, lors de la grande manifestation du 31 octobre. Elle fait non seulement partie des Parents for Future (Parents pour le futur), mais aussi des Christians for Future (Chrétiens pour le futur). Ici, la préservation de l’héritage religieux et des clochers est une raison de militer au côté des activistes radicaux d’Ende Gelände. « C’est tellement émouvant de voir ces jeunes s’élancer vers la mine, de courir entre les policiers… J’ai une grande admiration pour ceux qui s’engagent avec leurs corps pour sauver l’environnement », nous confie-t-elle.

Parmi les zadistes, quelques Français ont fait le déplacement. La résistance de Bure sert d’exemple pour la lutte, et fait l’objet d’une conférence organisée dans le grand chapiteau de cirque qui sert de foyer de rassemblement. Camille, 25 ans, a manifesté contre l’enfouissement des déchets nucléaires en Lorraine peu de temps avant de se rendre à Lützerath. « L’écologie n’est vraiment pas traitée comme un sujet important pendant la campagne présidentielle en France, alors qu’en Allemagne, c’est une question hautement médiatique et importante lors des élections », critique l’activiste. Encerclé par les policiers pendant l’action d’Ende Gelände, Camille se dit « fatigué, éreinté par la course-poursuite, mais aussi exalté par la solidarité et le sentiment de faire quelque chose de légitime ». Son but, partagé par de nombreux activistes sur place, est de « pousser la future coalition gouvernementale à aller plus vite et à respecter ses engagements, même s’ils sont déjà insuffisants ».

Les négociations en cours autour d’une coalition « tricolore » avec les socialistes de la SPD, les Verts et les libéraux de la FDP, sont un sujet clivant dans la Zad. Certains saluent leur annonce de sortir du charbon avant 2030, soit huit ans plus tôt que le plan du gouvernement Merkel. D’autres sont plus sceptiques : « Les libéraux veulent laisser faire le marché capitaliste, et les Verts ont régulièrement trahi les luttes écologistes, comme au “Hambi” », soupire Indigo, la porte-parole de Lützi Bleibt. La Zad du Hambacher Forst, à 30 minutes de Lützerath, est un symbole pour le mouvement écologiste allemand. Après plusieurs années de bras-de-fer et une évacuation jugée illégale par un tribunal régional, la même firme RWE a abandonné son projet d’agrandissement de la mine de Hambach, en 2018. Depuis, les zadistes sont restés sur place et prêtent main forte à leurs voisins du Lützi.
« Tous les villages que traversait mon bus scolaire ont disparu. »
Le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie semble ainsi concentrer les luttes et les tensions. « Toute la région vit et meurt du charbon », raconte Alexandra Brühne, habitante d’un hameau voisin et membre du collectif Alle Dörfer Bleiben (Tous les villages doivent rester). Le bassin houiller rhénan produit 50 % du charbon et 30 % des émissions de CO₂ allemandes. Après l’abandon du nucléaire suite à la catastrophe de Fukushima en 2014, le charbon a acquis une importance stratégique outre-Rhin : 25 % de l’électricité allemande en provient. Mais il faut nourrir le monstre. « Tous les villages que traversait mon bus scolaire ont disparu, avalés par les mines et reconstruits plus loin », soupire Mme Brühne en secouant la tête.

Elle qualifie de « sournoise » la tactique de RWE pour exproprier les habitants : « Quinze ans avant, ils rachètent les clubs de sport, les supermarchés, pour intégrer le paysage local. Puis ils font des offres alléchantes aux villageois, en prenant soin de s’acheter le “chef” du village en premier. Se basant sur une loi datant de l’empire wilhelmien et du nazisme, ils les exproprient avant de les déplacer dans des villes neuves, bétonnées et moches. » Pour elle et ses proches, une seule solution : manifester pour être entendus. « Mon père défilait déjà contre RWE dans les années 1980, notre militantisme se passe de génération en génération », dit-elle en mentionnant fièrement son fils de dix ans, « non-binaire et impatient de s’accrocher à une tractopelle ».
Notre reportage en images :
Notes
[1] Plusieurs activistes ont préféré donner des pseudonymes pour éviter des poursuites judiciaires.
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