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Cet article, co-écrit avec Elise Mazurié, a été publié dans l’édition Mai 2016 du Parvenu. 

Monsieur, c’est quoi la démocratie ? Mais voyons, on est en plein dedans !

Marianne est aujourd’hui une équilibriste déstabilisée, qui, les yeux bandés, doit choisir. Elle peut reculer, revenir sur ses pas, détricoter le droit du travail, réduire les libertés civiles, se droitiser. Au risque de revenir à la situation initiale : une République divisée, balafrée par la pauvreté et le conservatisme social. Mais elle peut aussi avancer vers le progrès social, sortir de la crise en osant démocratiser, diversifier, et libérer la société française. Quel que soit son choix, elle peut, au moindre faux pas, perdre l’équilibre et tomber dans le conflit social, la xénophobie et le déni de soi.

De même le citoyen est aujourd’hui confronté à un choix crucial. Veut-il conserver les institutions existantes, cautionner les partis traditionnels et l’establishment ; ou plutôt rompre, changer de système ? Mais pour quelle alternative ? Ici encore apparaît un clivage entre populisme (qui est souvent une propriété de l’extrême droite, et en moindre mesure de l’extrême gauche) et plateformes citoyennes de démocratie participative. Parmi les populistes, on peut retrouver le Front National, le Bloc Identitaire, Pegida, Alternative für Deutschland, le Mouvement 5 Étoiles, Aube Dorée à droite et, de manière moins consensuelle, Mélenchon, Tsipras et Iglesias à gauche. Toutes ces formations sont connues, analysées et critiquées. Mais qu’en est-il des plateformes citoyennes ? Comment se forment-elles, comment fonctionnent-elles, que revendiquent-elles ?

A Athènes, une des deux assemblées, la Boulê, était composée de 500 membres tirés au sort. Aujourd’hui l’idée d’un tirage au sort pour désigner ses membres semble revenir au goût du jour.

En Suisse de nombreuses lois sont adoptées par votation, beaucoup plus utilisé que le référendum en France.

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De manière générale, de plus en plus de voix s’élèvent actuellement pour demander une réforme du système démocratique. La modification du rapport de la société civile à la politique (associations non-partisanes) En effet dès lors qu’on passe à une plus grande échelle, le passage à la démocratie représentative s’impose.  La démocratie directe semble ne pouvoir s’exercer qu’en partant de la plus petite échelle à la plus grande, par un système de vases communiquants ou de référendums réguliers. tirage au sort, non-cumul des mandats, votations, etc… élections sans candidats (où chaque électeur propose le nom d’une personne pour laquelle il voudrait voter) qui d’un point de vue sociologique favorisent plutôt les “leaders charismatiques”. De nombreuses initiatives utilisent Internet pour se faire connaître et se développer, sous la forme de plateformes étant en partie connectées entre elles, et qui présentent des caractéristiques communes :

Elles font office de structure surplombante à des idées, des actions ou des associations qui peuvent déjà exister et avoir le besoin d’être interconnectées, à l’initiative des penseurs de ces sites internet ou des citoyens (e-citoyens) eux-mêmes. Ainsi regroupés, elles obtiennent une meilleure visibilité sur les réseaux sociaux et Internet en général, ce qui leur permet de contourner les appareils de partis d’une part et les médias traditionnels d’autre part.

On peut alors se demander pourquoi ce genre de pratiques démocratiques prennent de l’ampleur en ce moment précisément, et si c’est notamment l’arrivée de la génération Internet à la “maturité citoyenne” qui en a été un catalyseur, ainsi elles se diffusent principalement par le biais des réseaux sociaux et de sites récents reprenant des codes visuels contemporains dans leur architecture. Internet et la révolution numérique facilitent l’horizontalité de la démarche participative, par exemple au travers de l’application Stig. Cependant les algorithmes qui lui permettent de fonctionner sont profondément antidémocratiques ; en effet ils ont tendance à orienter les internautes vers des contenus similaires à ceux qu’ils ou leurs amis Facebook ou autres consultent également.

Le but de ces sites est de pousser leurs utilisateurs à très vite franchir le pas du concret. Les tâches, fracturées et divisées jusqu’à de très petites unités d’action sur des sites au “design” actuel, permettent un accès plus rapide – en contournant la patience – à une gratification/satisfaction/bonne conscience. Surtout, ces sites semblent vouloir redonner espoir à l’agglomération de petites actions individuelles pour avoir un impact important. De plus, le parcours de chaque acteur est balisé par des encouragements visant à maintenir leur motivation. On observe ainsi un passage direct de l’échelle microsociale à l’échelle macrosociale, sauf lorsque ces initiatives n’ont pas pu mobiliser faute d’être assez relayées et que ce changement d’échelle ne s’effectue pas.

Plusieurs propositions indépendantes se sont déclarées ces derniers mois.

Ces initiatives visent par leur action à inciter la société civile à se réapproprier l’action politique dans une démarche visant à éviter la professionnalisation de la vie politique.

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Ces derniers temps, l’idée d’une primaire élargie à gauche a émergé et a réussi à s’imposer dans le débat public. Une idée hybride : traditionnellement organisée par les partis politiques, c’est cette fois-ci un mouvement citoyen qui en est à l’origine, revendiquant un fonctionnement inspirée de celui de ces mêmes partis… et déjà évoquée en décembre, par Thomas Piketty, économiste et un des premiers signataires de l’appel dans son blog sur le site du Monde. En ce qui le concerne, le point de rupture avec la gauche gouvernementale ou du moins le gouvernement se trouve au niveau du programme économique du président depuis son entrée en fonctions en 2012, et le point de non-retour semble avoir été atteint lors de la cristallisation et la polarisation du débat sur la déchéance de nationalité.

Jacques Attali, ancien conseiller de François Mitterrand a lancé son site www.france2022.fr avec pour objectif de constituer un programme autour de propositions pouvant émaner des citoyens eux-mêmes dans l’optique de désigner a posteriori un candidat désirant le porter à l’élection présidentielle afin d’éviter une personnalisation de cette élection. L’implication d’associations au projet, comme l’explique Attali, permet de s’appuyer sur une légitimité et une confiance dont ne bénéficient pas les hommes politiques. Le but :  non seulement se qualifier, mais surtout l’emporter. Lancé au départ autour d’un groupe d’experts et des propositions de réformes de Jacques Attali, la participation au projet est maintenant ouverte à tout internaute le souhaitant. Lui-même le qualifie de « programme participatif » et se pose en modérateur des propositions apportées sur son site, né de la critique qu’il formulait aux dirigeants du pays depuis 30 ans, leur reprochant de ne pas avoir eu assez de courage politique pour entreprendre des réformes de grande envergure que lui juge nécessaires par manque de vision de long terme. Il mentionnait déjà l’idée de son projet en 2011. Un livre recensant le programme définitif adopté sortira le 2 avril prochain.

Caroline De Haas, militante féministe et Elliot Lepers, écologiste, ont eux créé le site lagueuledebois.fr, initié par leur mobilisation avec Julien Bayou (porte-parole d’EELV) au moment du référendum sur l’unité de la gauche et des écologistes en octobre dernier. Particulièrement actif au moment des régionales, il l’est beaucoup moins actuellement. Ils y répertorient des idées et des actions en vue de 2017. Leur but : faire barrage non seulement à l’extrême-droite mais aussi à la droite et être en mesure de présenter une candidature aux prochaines élections présidentielles. Parmi leurs propositions, celle d’une primaire alternative et citoyenne nommée « primaire de la gauche ». Les différentes propositions sont très variées ; une grande partie d’entre elles s’inscrit dans une perspective écologique. D’autres s’inscrivent plus précisément dans le paysage politique actuel et concernent des événements ayant fait polémique. Quelques-uns reprennent des mesures présentes dans le programme de campagne de François Hollande en 2012. Enfin, d’autres encore présentent une réflexion bien plus profonde sur la politique en général. L’élément déclencheur de la création du site internet, pour les deux activistes, a été les résultats du second tour des régionales. Les responsables de ce projet semblent avoir fusionné celui-ci avec l’initiative d’une primaire à gauche, et ont lancé leur propre site en vue de la primaire : http://primairedegauche.fr/

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Le site du film Demain, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, qui fait lui aussi un inventaire de solutions déjà existantes et qui a surtout le mérite de les connecter entre elles en partant du prisme écologique pour aboutir à une vision globale de l’état de la planète et de ses habitants et a le mérite de montrer à quel point tous les enjeux actuels sont étroitement liés les uns aux autres, qu’ils soient démocratiques, institutionnels, liés à l’éducation, alimentaires ou concernant la politique de la ville.

Plus récemment Martine Aubry a elle aussi soutenu l’idée d’une primaire à gauche dans sa tribune dans le Monde.

Il existe de nombreux autres projets indépendants.

On peut en distinguer différents types :

  • ceux qui reprennent l’organisation des partis
  • les hybrides : portés à la fois par des citoyens et des personnages publics

Seulement tous ces mouvements ne risquent-ils pas de se court-circuiter les uns les autres ? Dans quelle mesure peuvent-ils considérer qu’il y aurait de la place pour l’un d’entre eux dans le paysage politique actuel ?

Ces initiatives possèdent un potentiel d’action et électoral important ; en effet, de nombreux Français ne se sentent plus représentés par l’offre politique présente dans le pays. Si certains s’abstiennent, d’autres ne s’inscrivent même pas sur les listes électorales. Ils représenteraient jusqu’à 7% des électeurs potentiels, chiffre en baisse jusqu’à 2013 puis en légère hausse depuis. De plus, il faut également prendre en compte les « mal-inscrits », c’est-à-dire les personnes n’ayant pas effectué un changement de circonscription suite au changement de domicile par exemple. Les mesures prises par le gouvernement pour contrer ce type d’abstention indirecte concernent d’une part l’inscription automatique sur les listes électorales des jeunes de 18 ans et d’autre part en repoussant la date limite d’inscription sur les listes électorales comme cela a été le cas pour les élections régionales de décembre.

Récupération et adaptation

Alors que les élections régionales ont une fois de plus déclenché une série de réactions mêlant étonnement, promesses de renouvellement et analyses d’une crise de la représentativité, comme ce fut le cas à l’issue d’autres échéances électorales, (voir ici l’article publié par Michel Wieviorka, sociologue à l’EHESS, et plus récemment signataire de la tribune de Martine Aubry, au terme des élections départementales de 2014) qu’en est-il des nombreuses initiatives citoyennes fleurissant actuellement et qui se mobilisent au-delà des frontières partisanes ? Les médias et personnalités politiques vont-ils continuer à s’étonner à chaque élection pour retourner aussitôt à d’autres actualités plus pressantes ?

Ces derniers mois, de nombreuses initiatives de création d’un programme politique en vue de l’élection présidentielle de 2017 en France ont émergé. Dernier exemple en date, celui de l’appel à une primaire à gauche dans Libération. Mais d’autres projets existent, portés la plupart du temps dans un cadre plus large, sans étiquette politique, et par des intellectuels et non des politiques « professionnels »(…). Ces projets partent du constat d’une crise complexe et diverse sur les plans démocratique, économique, institutionnel (certains préconisent une refonte de la Constitution comme le mouvement pour une 6e République), … et souvent s’élèvent contre les partis actuels dont le nombre de membres et de militants ne cesse de chuter  et parfois même la logique de fonctionnement des partis en soi, ne s’estimant pas ou mal représentés. Quelles sont les chances et les idées de ces mouvements, qui comptent s’appuyer sur la démocratie participative ?

Cette situation a forcé les partis dits traditionnels à adopter différentes stratégies de refondation, et si une de ces initiatives parvenait à s’imposer dans l’espace public, le champ politique s’en retrouverait recomposé. Ainsi J.-C. Cambadélis, au soir du second tour ces régionales, appelait à une refondation du Parti Socialiste sous sa forme actuelle pour constituer un « pôle à vocation majoritaire » : l’Alliance Populaire. En effet, la majorité gouvernementale, si elle veut se qualifier pour le second tour en 2017, doit pouvoir être en état de mobiliser une large majorité dès le premier tour. Dépasser le seul cadre du PS afin d’impliquer des associations et des personnes issues de la société civile : tel est le nouvel objectif que s’est fixé le premier secrétaire en vue de l’élection présidentielle de 2017. On peut considérer que ce projet avait été amorcé par la reconversion de la ligne directrice du PS en « social-écologie». En effet, compte tenu du scrutin majoritaire aux élections législatives, EELV n’est que peu représenté mais est souvent amené à former une coalition avec le PS lorsque celui-ci arrive au pouvoir (quelques ministres verts sont nommés, mais jamais à l’Ecologie, comme Cécile Duflot). Ainsi le Parti Socialiste a-t-il lancé le 21 septembre dernier un nouveau site complémentaire (http://social-ecologie.parti-socialiste.fr/) sur le modèle d’une plateforme participative.

Ce sont entre autres Ségolène Royal et Barack Obama qui, pendant leurs campagnes respectives de 2007 et 2008, ont les premiers utilisé cette forme de démocratie. Ainsi, la candidate socialiste à la présidentielle de 2007 en France avait-elle créé un site internet (Désirs d’avenir) et engagé de nombreux collaborateurs afin de pouvoir traiter les participations des internautes à l’élaboration de propositions. Ce nouveau rapport aux citoyens, plus horizontal, si sa pratique se généralise, pourra peut-être redonner de la crédibilité aux politiques et ainsi pallier à la crise de défiance. De nombreux partis considérés comme traditionnels, de gouvernement ont alors opté pour une stratégie de « renouveau », du moins symbolique. Ainsi en est-il du changement de nom de l’ « UMP » en « Les Républicains », entre autres. En France, traditionnellement, les électeurs se mobilisent clairement d’avantage aux élections présidentielles et législatives tandis que les élections intermédiaires sont délaissées avec une abstention à 50 % qui profite au FN : ses électeurs semblent les plus mobilisés, les autres partis peinent à conserver leur électorat après l’épreuve des responsabilités, du pouvoir. Les électeurs du FN sont-ils vraiment les plus mobilisés ? N’ont-ils pas atteint un plafond de verre ? Chaque élection semble pourtant en repousser les limites.

Avec les primaires collaboratives, sommes-nous arrivés à l’heure de la démocratisation de masse, de la citoyenneté mondiale exprimée par des mouvements comme la Marche pour le Climat ou les 99%, alors que les taux d’abstention sont au plus haut ?

Pour aller plus loin …

Littérature : Cheikh Sow : Plus on en parle moins on en fait. aux éditions la Cause du Poulailler

Autre initiatives de démocratie collaborative :

  • Nous citoyens
  • Laprimaire.org
  • La transition
  • Nous la majorité
  • La république des citoyens
  • Ma voix
  • Oser la démocratie
  • @notreprimaire
  • le mouvement commun (Pouria Amirshahi)

… et d’autres

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