Reporterre | 11 décembre 2024 | Monde

Après la chute de Bachar el-Assad, des agriculteurs espèrent retourner à leurs terres. Il leur faudra restaurer un environnement saccagé par treize années de conflits meurtriers et un demi-siècle de politiques désastreuses.

Des scènes de liesse dans toute la Syrie, de la joie sur les visages, le drapeau de la révolution qui flotte au vent : le régime de Bachar el-Assad est enfin tombé, en quelques heures à peine. Après une offensive éclair, une coalition de groupes rebelles a repris plusieurs villes clés, précipitant la fuite du sanguinaire président syrien dans la nuit de dimanche à lundi 9 décembre.

Les premières manifestations contre le régime ont eu lieu en 2011, le régime syrien s’est donc effondré après plus d’une décennie d’un conflit meurtrier ayant fait plus d’un demi-million de morts. Un moment historique pour toute la région, similaire, pourrait-on dire, à la chute du mur de Berlin.

« C’est comme un rêve, personne ne peut le croire. Après cinquante-deux ans [de règne du clan Assad], toute la population est libre. C’est magnifique : c’est comme si nous naissions pour la deuxième fois », s’exalte Aazat Abou Bachir au téléphone. Cet agriculteur vit dans un camp de réfugiés à Afrin, dans le nord-est du pays. Il travaille à un projet d’agriculture biologique avec d’autres réfugiés de guerre, après avoir été déplacé de sa région natale d’Idlib par les troupes du régime.

« Ils ont détruit ma maison, brûlé une partie de mes oliviers. Ils n’étaient pas juste des criminels contre les humains, mais contre la nature et tous les êtres vivants », dénonce-t-il avec émotion dans la voix.

« On n’avait pas le droit de planter ce qu’on voulait »

Pendant des décennies, Hafez el-Assad puis son fils, Bachar, avaient imposé des politiques agricoles d’une main de fer, créant des conditions propices à la guerre civile : monocultures organisées par région, quotas de production, libéralisation à marche forcée et répression féroce de celles et ceux qui osaient s’y opposer.

« Nous n’avions pas le droit de planter ce que nous voulions, seulement certains types de semences. Ces politiques ont appauvri et desséché les sols et créé des problèmes pour tous les agriculteurs », se remémore Abou Bachir. Il a enfin recouvré sa liberté. « C’est même étrange de pouvoir parler de tout cela ouvertement, avant le régime nous jetait en prison et effaçait notre existence si nous le critiquions », soupire-t-il.

Monocultures, quotas de production… Le clan Assad a imposé des politiques agricoles néfastes, dans un contexte de sécheresses répétées. © Philippe Pernot / Reporterre

L’environnement est la victime silencieuse du conflit syrien. La vague révolutionnaire du printemps arabe de 2011 a entraîné une forte répression du régime d’Assad. Des dizaines de groupes rebelles armés — dont certains djihadistes — se sont, eux, livrés une lutte acharnée pour la mainmise du pays. Résultat : des pillages de ressources, la destruction d’écosystèmes

« En visant les Yêzidis et d’autres minorités dans le nord-est syrien, l’État islamique a délibérément détruit leur environnement. Au cours du conflit, tous ses acteurs ont utilisé l’eau comme une arme ou encore pratiqué la déforestation », explique Peter Schwarzstein, journaliste spécialisé dans l’environnement et chercheur au Wilson Center, un groupe de réflexion basé à Washington DC. Par exemple, la Turquie et ses supplétifs syriens sont accusés de retenir l’eau de l’Euphrate et du Tigre dans le but d’affaiblir les régions sous contrôle kurde.

De l’espoir dans le chaos climatique

À ces destructions, il faut ajouter la pollution des armes de guerre et des combats. « Il y a un cocktail explosif de dégâts liés à la guerre, de politiques désastreuses sous le gouvernement Assad, et de facteurs climatiques », souligne l’expert. La Syrie souffre de manière accrue des effets de la catastrophe climatique. La hausse des températures affecte deux fois plus la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord que le reste du monde, selon Greenpeace. En 2021 par exemple, les températures ont atteint, plusieurs moins durant, 40 à 45 °C.

« Depuis une vingtaine d’années, on observe une recrudescence de sécheresses terribles, de tempêtes de sable dramatiques, et d’inondations meurtrières. Les réponses du gouvernement Assad, qui a supprimé des subsides aux agriculteurs et surconsommé l’eau pour ses monocultures, n’ont fait qu’aggraver la situation », estime Peter Schwarzstein. Des experts et activistes dénoncent une guerre climatique, voire un écocide.

« J’espère que le nouveau gouvernement soutiendra les agriculteurs »

Une nouvelle ère pour le pays meurtri. « Je vais enfin pouvoir retourner chez moi : dès demain, je vais commencer à replanter mes champs à Idlib », affirme Aaazat Abou Bachir, la joie dans la voix. Comme le reste du pays, il fait maintenant face, avec optimisme, à un futur incertain. Le futur gouvernement, probablement dirigé par les rebelles du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham et l’Armée syrienne libre, sera-t-il à la hauteur ?

« Nous avons massivement besoin d’aide pour restaurer les champs, les arbres, les écosystèmes. Nous avons besoin de subventions pour les engrais afin de rendre leur vitalité aux sols. Et il faudra soutenir l’agriculture biologique, afin de régénérer la nature et les humains à la fois, dit-il. J’espère que le nouveau gouvernement soutiendra les agriculteurs dans cette voie. »

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